الجمعة، 30 نوفمبر 2007

L’AMDH et le dossier des Violations Graves

Il y a deux années jour pour jour, le 30 novembre 2005, l’Instance Equité et Réconciliation, – dont la création a été décidée en novembre 2003 – et après deux années d’activités, présentait son rapport final au Roi.
Cet article se propose de faire le point sur le dossier des violations graves tout en traçant les perspectives pour un dossier qui reste incontestablement ouvert, d’abord parce que le processus IER n’a pas permis de le clore, et ensuite parce que les violations graves se poursuivent, pas seulement dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais également à l’encontre des défenseurs des droits humains (11 militants de l’AMDH incarcérés actuellement), de la presse indépendante, des syndicalistes.
Cet article est à l’origine un exposé sur les violations graves qui a été revu et actualisé pour les besoins de publication au n°115 d’Attadamoune(Solidarité) paru le 24 novembre 2007

Abdelhamid AMINE


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A. Il s’agit dans cet exposé des violations graves du passé liées à la répression politique exercée depuis la déclaration de l’indépendance du Maroc en 1955 jusqu’a la mort de Hassan II : disparitions forcées, arrestations arbitraires, tortures, procès inéquitables dans le cadre d’une justice à l’ordre, exécutions extrajudicaires, exil forcé, tueries massives lors des soulèvements populaires (Rif en 1958 – 59, Casablanca en mars 1965 et en juin 1981, villes du Nord en janvier 1984,…) viol des femmes lors de la répression, dépossession des biens des opposants, …
On ne parlera pas ici des violations graves commises sous le règne de Mohamed VI à partir de juillet 1999 dont les plus importantes sont celles qu’a connues notre pays en liaison avec la lutte anti-terroriste. A l’AMDH, et contrairement à beaucoup de chantres du Régime qui ont tenu à fermer les yeux sur les violations graves commises depuis juillet 1999, nous n’avons cessé dans le cadre de la protection des droits humains, de les dénoncer systématiquement ; parmi les violations graves les plus récentes figurent l’arrestation arbitraire, les procès inéquitables et les verdicts iniques prononcés contre 17 militants de l’AMDH dont 8 sont emprisonnés depuis mai dernier pour « atteinte aux valeurs sacrées du royaume » et avec des peines allant de deux à quatre ans de prison.
Rappelons tout d’abord que les violations graves ne sont pas le fruit du hasard ou de simples bavures des organismes de sécurité, mais qu’elles sont les manifestations de la répression politique violente exercée par le pouvoir politique marocain contre les opposants de tout bord.
Elles sont le résultat du système de gouvernement choisi délibérément par le pouvoir politique marocain pour affaiblir ou écraser l’opposition politique, d’abord progressiste et à aspiration démocratique depuis l’indépendance, puis islamiste surtout à partir du milieu des années 1980.
Au début de l’indépendance deux forces politiques essentielles étaient en présence :
- Le palais soutenu par les forces semi féodales (qui avaient collaboré avec le colonialisme et qui cherchaient à préserver leur pouvoir économique et leur influence politique) et par les néocolonialistes qui aspiraient à préserver les intérêts des forces coloniales sous d’autres formes.
- Les forces du mouvement national, soutenues largement par les masses populaires, qui avaient dirigé la lutte pour l’indépendance et qui aspiraient à asseoir un pouvoir à caractère national et d’aspiration démocratique à la place du pouvoir colonial.
Après une période de quelques années de coexistence entre les deux forces, le palais a finalement opté pour la répression systématique comme mode de résolution de la contradiction entre les deux forces ; d’où les violations graves citées plus haut dont ont été victimes des dizaines de milliers de citoyenNEs ; une des grandes victimes fut également la démocratie qui n’a pu voir le jour jusqu’ici que de manière formelle.

B. Comment l’AMDH a vu le traitement du dossier des violations graves ?
La vision de l’AMDH est en fait le fruit d’un long murissement et d’une réflexion approfondie en synergie d’ailleurs avec les autres composantes du mouvement de défense des droits humains.
L’AMDH Considère que le traitement démocratique du dossier des violations doit être fondé sur 5 points cardinaux :
● La vérité sur les violations graves qui doit à la fois révéler l’ampleur de ces violations, leurs résultats et conditions, et fixer les responsabilités dans la perpétration de ces violations : responsabilité de l’Etat, responsabilité de chacune des institutions étatiques impliquées (institution monarchique, armée, gendarmerie, différents corps et services de la police, ministère de l’intérieur, gouverneurs et autres agents de l’autorité, appareil judiciaire….) et responsabilités individuelles.
● la fin de l’impunité et la poursuite judiciaire des responsables des violations graves ; notons à ce sujet que l’AMDH avait dressé une 1ere liste (14) de ces responsables, puis une seconde liste (45) de ces responsables qu’elle avait adressées en octobre 2000 puis en décembre 2001 au Ministre de la justice pour ouvrir une enquête judiciaire sur les violations qui leur sont attribuées, mais sans résultat jusqu’ici.
● L’équité qui exige :
- La réparation des torts causés par ces violations, qu’il s’agisse de réparation individuelle (financière, santé, réinsertion sociale,…) ou collective (pour les communautés et les régions les plus touchées par la répression) ou sociétale.
- La Préservation de la mémoire notamment pour ce qui concerne les lieux de détention, les excuses officielles et publiques de l’Etat aux victimes des violations graves et à la société.
● La prise de mesures constitutionnelles, législatives, réglementaires, éducationnelles, pour barrer la voie au retour des violations graves (« plus jamais ça ») ce qui peut être traduit par l’édification des bases de l’Etat de droit.
● Le traitement simultané des violations graves liées aux crimes économiques (pillage et dilapidation des biens publics, corruption, privilèges illégaux,…) et des violations graves découlant de la répression. Cette simultanéité trouve son origine d’une part dans le fait que ceux qui étaient les principaux responsables des violations graves liées à la répression politique étaient pour la plupart responsables ou profiteurs des violations graves dans le domaine économique et social et d’autres part dans le fait que la répression politique avait aussi pour rôle profond d’avaliser et normaliser les crimes économiques ; on ajoutera que cette simultanéité à un avantage majeur, celui de dégager les ressources importantes pour l’Etat qui serviront notamment à financer la réparation des victimes individuelle et la réparation collective et communautaire au lieu de puiser les ressources dans le budget de l’Etat sanctionnant ainsi et de manière supplémentaire le commun des citoyens qui à déjà été victime directement ou indirectement des violations graves de toutes sortes.

C. Le pouvoir et le dossier des violations graves.
J’essayerai d’exposer la politique du pouvoir (qui est en fait celle du palais puisque le gouvernement ne fait que suivre dans ce domaine comme dans tous les domaines sensibles) en distinguant l’approche d’avant la création de l’IER (Instance Equité et Réconciliation) de l’approche IER.

C1. L’approche antérieure à l’IER
L’IER, dont la création a été annoncée le 06 novembre 2003, a été mise en place le 07 janvier 2004. La période antérieure à l’IER est composée à son tour de trois phases :
●● Avant 1990 ; c’était la période ou des centaines de disparus étaient séquestrés, des centaines de détenus politiques étaient encore en prison, des centaines de citoyens étaient contraints à l’exil ; à cette époque le pouvoir niait l’existence de disparus et même celle de prisonniers politiques considérés alors comme des criminels de droit commun ; à cette époque les droits humains étaient considérés comme quelque chose de subversif et leurs défenseurs comme des personnes qui voulaient nuire à la renommée du pays ; les membres d’Amnesty International en mission au Maroc étaient filés, harcelés et parfois persécutés.
Des libérations prématurées de détenus politiques pouvaient avoir lieu par le biais de grâces royales qui jouaient le rôle de soupape pour détendre l’atmosphère politique ; voilà tout ce que pouvait concéder le pouvoir.
●● Après 1990, il y eut un changement dans l’attitude du pouvoir à l’égard du dossier des droits humains en rapport avec les luttes des forces démocratiques locales et les changements au niveau international : chute du mur de Berlin et de l’Union Soviétique avec une offensive de la démocratie libérale et une montée en force du mouvement mondial des droits humains.
C’est alors qu’au Maroc le pouvoir a abandonné son attitude hostile aux droits humains pour épouser un discours et des mesures en phase avec les droits humains : création du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, d’un Ministère des droits de l’Homme, reconnaissance des droits de l’Homme au niveau du préambule de la Constitution en septembre 1992, changements positifs au niveau législatif, libération de centaines de détenus politiques et retour de la plupart des exilés, réapparition d’une bonne partie des disparus (Tazmamart, Kalaa Mgouna,…) ; pour couronner le tout, un gouvernement d’alternance a été mis en place en mars 1998 ; apparemment Hassan II tenait à « clore » le dossier des droits de l’Homme avant sa mort qu’il sentait proche.
●● Avec l’accession au trône de Mohamed VI (23 juillet 1999), ce fut la continuation des mesures de libéralisation avec un renforcement du discours favorable aux droits humains ; l’instance indépendante d’arbitrage a été mise en place pour l’indemnisation des victimes des violations graves ; quelques 4000 victimes en ont bénéficié.
Tout ceci n’a pas empêché les victimes des violations graves, l’AMDH et l’ensemble du mouvement marocain des droits humains d’exprimer son insatisfaction quant au cours général du dossier puisque l’approche du pouvoir a été considérée comme réductionniste ; trois manifestations majeures de ce mécontentement et de la volonté d’aller de l’avant pour le règlement du dossier sur des nouvelles bases, ont vu le jour :
● Création du FMVJ (forum marocain pour la vérité et la justice) qui a vu le jour en novembre 1999 comme organisation des victimes des violations graves.
● 1ère liste (non exhaustive) des responsables des violations graves dressés par l’AMDH et adressée au ministre de la justice et au parlement en octobre 2000 pour demander successivement l’ouverture d’une enquête judiciaire puis d’une enquête parlementaire conformément à l’article 42 de la constitution.
● Colloque National sur les violations graves tenu le 9 – 10 – 11 novembre 2001, sur Initiative de l’AMDH, OMDH et FMVJ, qui a regroupé l’essentiel des forces démocratiques et des forces vives du pays et qui a adopté par consensus un certain nombre de recommandations qui constituent à nos jours le programme minimal du mouvement des droits humains et des forces démocratiques pour ce qui concerne le règlement du dossier des violations graves ; ces recommandations peuvent être résumées comme suit :
- Vérité sur le destin des disparus, avec libération des vivants parmi eux et livraison des dépouilles des décédés ainsi que les certificats de décès à leur familles.
- Vérité sur l’ensemble des violations graves des droits humains liées à la répression politique durant les décennies passées depuis l’indépendance, ce qui exige la formation d’une Instance Nationale Indépendante pour la Vérité.
- Reconnaissance par l’Etat de ses responsabilités dans le domaine des violations graves tout en présentant des excuses officielles à leur sujet.
- Réhabilitation des victimes y compris la réparation et une juste indemnisation matérielle et morale.
- Réhabilitation de la société et préservation de la mémoire en commençant par l’inviolabilité des lieux de détention secrète.
- Mise en place de réformes constitutionnelles, juridiques et institutionnelles pour empêcher le retour dans l’avenir des violations graves.
- Organisation dans un proche avenir d’un séminaire sur la lutte contre l’impunité.
- Mise en place d’une Instance de Suivi des recommandations constituée par l’AMDH, l’OMDH et le FMVJ chargée d’œuvrer à mettre en pratique les recommandations antérieures.


C2. L’approche de l’IER
●● Deux années après le colloque sur les violations graves de novembre 2001 et comme résultat des pressions exercées par les défenseurs des droits humains, une nouvelle approche du dossier des violations graves a été entamée par le pouvoir, et ce fut le démarrage du processus IER :
● Le 6 Novembre 2003, le Roi a approuvé une recommandation du CCDH visant à mettre en place l’Instance Equité et Réconciliation sur les bases fixées par le CCDH.
● 7 Janvier 2004 : Création de l’IER et démarrage de ses travaux. Driss Benzekri secrétaire général du CCDH est nommé président de l’IER.
● 12 Avril 2004 : approbation des statuts de l’IER.
● le 30 Novembre 2005 : achèvement des travaux de l’IER et présentation du rapport final au Roi.
● 6 Janvier 2006 : réception par le Roi des victimes, de l’IER et de plusieurs dignitaires de l’Etat, des responsables de partis politiques et d’organisations représentatives de la Société civile pour annoncer la validation des travaux de l’IER et demander au CCDH – avec la collaboration de toutes les autorités publiques – de mettre en œuvre les recommandations.

●● Quels résultats ? Quelle évaluation pour le processus IER ?
Dès l’annonce de la décision de créer l’IER sur la base de la plateforme élaborée par le CCDH et approuvée par le Roi, l’AMDH a annoncé sa position :
● La création de l’IER est une initiative positive étant donné qu’elle permet la réouverture officielle du dossier des violations graves alors même que ce dossier a été considéré comme clos par le pouvoir ; cette réouverture est d’autant plus positive qu’elle va se faire sur la base de la notion de réparation qui est bien plus large que celle de l’indemnisation matérielle des victimes.
● L’approche IER comporte des insuffisances essentielles qui feront que le dossier des violations graves n’aura aucune chance d’être clos une fois les travaux de l’IER achevés ; ces insuffisances peuvent être résumées ainsi :
- Le champ des violations à traiter par l’IER tel qu’il ressort de sa plateforme constitutive est réduit a deux types : disparitions forcées et arrestations arbitraires ; l’IER sera amené sous la pression des critiques à élargir dans la pratique ce champ à d’autres types de violations.
- Les violations graves commises après 1999 n’ont pas été prises en compte par l’IER, puisque le champ d’investigation historique a été fixé comme allant de l’indépendance à l’intronisation de Mohamed VI. C’est évidemment une décision politique qui avait pour message de dire qu’on est passé en 1999 d’une période de violations graves et systématiques à une période de respect des normes de l’Etat de droit, où à la rigueur il peut y avoir des bavures mais pas de violations graves comme système de gouvernance.
Or en novembre 2003, au moment de l’annonce de la création de l’IER, on vivait une nouvelle vague des violations graves : des milliers d’arrestations après le 16 mai 2003, l’enlèvement et la détention dans des centres secrets, la torture systématique, des procès inéquitables pour des centaines de membres présumés de la « Salafiya Jihadiya », des jugements iniques,…. ; c’était l’emprisonnement, la torture et la condamnation scandaleuse du secrétaire général adjoint de la section AMDH de SAFI, l’emprisonnement arbitraire du journaliste Ali Lamrabet, sans parler de dizaines de prisonniers politiques qui continuaient à être incarcérés depuis de nombreuses années.
- La lutte contre l’impunité a été écartée et de manière hostile par l’IER puisque la plate forme constitutive a annoncé, et contrairement aux fondements du droit, que la lutte contre l’impunité n’aura pas lieu puisqu’elle est synonyme de vengeance, de rancune et source d’anarchie (« fitna »dans le texte arabe).
- Pour ce qui concerne la vérité, on savait dès le départ, plateforme constitutive à l’appui, que seules des semi vérités étaient recherchées à cause du champ des violations graves à traiter qui est resté limité, de la mise à l’écart de la période récente d’après 1999, du blocage de toute recherche des responsabilités individuelles quand à la perpétration des violations graves.
A cause de toutes ces faiblesses majeures – et d’autres moins importantes – l’AMDH a donc estimé que l’IER était une réponse insuffisante aux revendications minimales du mouvement des droits humains.
De ce fait, nous avons décidé avec nos partenaires au sein du mouvement des droits humains et notamment au sein de l’Instance de Suivi des Recommandations du Colloque National sur les Violations Graves de ne pas s’impliquer en interne dans le processus IER et de nous en tenir à l’accompagnement propositionnel et critique de ses activités.
● D’autres insuffisances ont pu apparaître lors de l’activité de l’IER et qui malheureusement n’ont fait que conforter nos critiques formulées à l’encontre de sa plate forme constitutive.
- La faible collaboration de l’IER avec le mouvement des droits humains dont la force et la dynamique sont incontestables au Maroc. Pourtant les spécialistes de la justice transitionnelle, dont relève le processus IER, ne cessent d’insister sur la nécessaire collaboration des Instances de Vérité et d’Equité, là où elles se trouvent, avec le mouvement de défense des droits humains comme une condition nécessaire au succès de la mission de ces instances ; au Maroc, l’IER n’a pas manqué d’exprimer ses réserves vis-à-vis du mouvement des droits humains dans son ensemble et les contacts avec l’Instance de Suivi des recommandations du colloque ont plutôt été formels ; sans parler de l’hostilité déclarée de certains membres de l’IER à l’AMDH.
- Le faible intérêt des citoyens pour l’expérience IER et pour le dossier des violations graves ; si les victimes concernées et leurs familles, la presse indépendante, une frange d’intellectuels, des partis politiques, ont suivi l’actualité et les débats dans ce domaine, on peut regretter que l’IER (et dernière elle le Pouvoir) n’ait pas fait l’effort nécessaire pour que ce dossier devienne une affaire nationale; même les auditions publiques organisées officiellement par l’IER – qui constituent pourtant un moment fort de son activité – n’ont pas eu le rayonnement et l’impact nécessaires ; ce sont quelques centaines de milliers de personnes qui ont partiellement suivi ces séances au lieu des millions et des millions qu’on pouvait attendre si la volonté politique existait pour cela. Quant aux huit auditions publiques organisées par l’AMDH (sous le mot d’ordre « Témoignages en toute liberté pour la vérité ») et qui ont connu un grand succès auprès du public concerné directement par le dossier, elles ont tout simplement été ignorées par les médias publics officiels, ce qui bien évidemment a réduit leur impact.
- L’IER ne s’est pas donnée les moyens nécessaires (juridiques, politiques et pratiques) pour arriver à la vérité, ne serait – ce que dans son aspect descriptif de ce qui s’est passé ; les dirigeants de l’IER qui n’ont cessé de déclarer qu’ils bénéficiaient de l’appui royal pour arriver à la vérité, se sont finalement résolus à écrire dans leur rapport que certains responsables sécuritaires ont refusé de collaborer à ses investigations pour arriver à la vérité. Quid alors de l’appui royal ?!
● Passons maintenant aux résultats du travail de l’IER
Le rapport présenté au Roi le 30 novembre 2005, n’a été que très faiblement diffusé ; il a fallu attendre juillet 2006 pour voir la publication de la première version en arabe ; notons également que les résultats des travaux de l’IER ont été très peu médiatisés à l’intérieur, en tout cas beaucoup moins qu’à l’étranger !
Pour ce qui concerne les résultats des investigations de l’IER, elles ont été bien modestes ; l’IER a reçu 22000 dossiers dans les délais ; d’après une source de l’IER, 30.000 autres dossiers sont parvenus après la clôture des délais fixés ; sur l’ensemble de ces dossiers 17000 environ ont été traités.
Qu’en est – il des résultats obtenus par l’IER ?
- S’agissant de la vérité, l’IER déclaré que 742 cas de présumés disparus ont été élucidés et que 66 cas restent en suspens.
- Outre le fait que ce nombre est bien faible par rapport aux milliers de victimes dont le sort est resté inconnu, on notera que l’IER ne s’est même pas donné la peine de publier la liste des 742 et des 66 pour que l’opinion publique puisse savoir de qui et de quoi il s’agit. En outre, il a été déclaré que les investigations continueront pour arriver à la vérité sur les 66 cas restants ; rien n’a été révélé jusqu’ici par le CCDH qui a la charge de ce dossier.

Force donc est de constater que l’IER n’est arrivé qu’a des vérités limitées et partielles et que des dossiers entiers et des affaires importantes sont restés sans réponse :
Vérités partielles sur les dossiers de la répression des soulèvements populaires de Mars 1965 et de juin 1981 à Casablanca, de janvier 1984 dans les villes du Nord, du 14 décembre 1990 à Fés, mais black out total sur la répression du Rif de 1958 – 1959, les victimes de l’opération écouvillon de 1958 (qui avait pour objectif de liquider l’armée de libération marocaine basée au Sud) de Oulad khalifa au Gharb (octobre 1970).
Pas de révélations non plus sur des dossiers emblématiques comme ceux de l’enlèvement assassinat de Mehdi Ben Barka et Houcine Manouzi, de la torture à mort de Zeroual et Tahani, de l’attentat contre Omar Benjelloun, du PF3, ce centre de détention secrète où sont enterrés de nombreux cadavres de disparus.
Pas de vérité claire non plus sur la délimitation des responsabilités dans les violations graves. Le rapport de l’IER a parlé de responsabilités étatiques et non étatiques ce qui en soit revient à diluer la responsabilité de l’Etat et de ses appareils politico-sécuritaires. Le rapport de l’IER n’a pas osé révéler la responsabilité des différentes institutions et appareils de l’Etat : Quid du rôle de l’institution monarchique et du Roi Hassan II en personne ? Qu’en est-il du rôle de l’armée, de la DGED, des différents services de la DGSN, du Ministère de l’Intérieur, des gouverneurs et autres autorités locales, de la justice qui a joué un sale rôle en blanchissant les violations graves commises par ailleurs ?
Quant à la vérité sur les responsabilités individuelles, elle est restée hors d’atteinte puisque sa recherche a été évacuée dés le départ par la plate forme constitutive de l’IER.
- Pour ce qui est de l’impunité qui a été rejetée dès le départ par l’IER, on aurait pu espérer – mais en vain – une recommandation de cette instance visant à écarter (même sans les nommer) les responsables des violations graves des postes que certains d’entre eux détiennent encore au niveau de l’Etat ; on aurait pu espérer également une recommandation visant à restituer à l’Etat les richesses accumulées de manière indue parallèlement aux violations graves commises.
On notera toute fois qu’un grand progrès a été enregistré sur la question de l’impunité à la fin des travaux de l’IER puisqu’elle a préconisé la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’impunité ce qui revient à réhabiliter cette notion qui a été bien dénigrée au départ au niveau de la plateforme constitutive de l’IER.
- Au niveau de l’Equité,
On constatera d’abord pour l’indemnisation financière qu’il ya eu d’après le CCDH au total 11706 cas d’indemnisation entre IER (8071) et instance d’arbitraire indépendante (3635) ; parmi cet ensemble il y a 9481 cas d’indemnisation des victimes elles mêmes et 2215 cas d’indemnisation des ayants droits des victimes décédées ; le montant de l’indemnisation se monte au total à 1567 millions de DH, dont 608 versés par l’IER et 959 par l’Instance d’arbitrage.
Il est certain que des milliers de victimes des violations graves n’ont pas été indemnisées soit pour ne pas avoir déposé de dossier auprès l’IER, ou l’avoir déposé hors délai, soit parce qu’ils ont été considérés en dehors du champ des violations graves relevant du ressort de l’IER ; c’est le cas par exemple des élèves sous officiers d’Ahermoumou (qui ont été enrolés par le Colonel M’hamed Ababou dans le coup d’Etat du 10 juillet 1971, et qui ont été emprisonnés puis radiés de l’armée même après avoir été reconnus non coupables) ou de ces dizaines de citoyens enlevés à Casablanca pour « nettoyer la ville de ses délinquants » et emmurés à Tagounit à l’extrême sud du Maroc sans procès et dans l’illégalité et l’inhumanité la plus abjecte.
De même le montant global de l’indemnisation (l’équivalent de 140 millions d’Euros) reste bien maigre comparativement aux tords subis par les milliers de victimes ; on pourra à titre d’exemple comparer ce montant aux chiffres bien plus importants déboursés par l’Etat pour renflouer des institutions bancaires (CIH, CNCA,….) dont les fonds ont été dilapidés par de hauts dignitaires de l’Etat.
Pour ce qui concerne la localisation des dépouilles des victimes de la répression décédés et leur livraison à leurs familles, un progrès partiel a été réalisé dans la mesure où quelques dizaines de tombes ont été identifiées à Casablanca, Kalaa Mgouna, Fès, etc… Cependant il n’ya pas eu d’identification scientifique par analyse comparée d’ADN ; on ne peut être que surpris du retard accumulé dans ce domaine ; il est admis que les délais pour obtenir les résultats de l’analyse ADN sont de 6 semaines ; or au Maroc après plus d’une année et parfois près deux années passées après le prélèvement de l’ADN des dépouilles, il n’ ya toujours pas de résultat. Tout cela devient très suspect.
● Pour ce qui est de la couverture médicale des victimes, on notera que beaucoup d’entre eux ne peuvent en bénéficier ; le CCDH avance le chiffre de 12.000 bénéficiaires. En outre la formule trouvée est celle de l’intégration à l’AMO qui ne permet de rembourser et avec beaucoup de retard qu’une partie des frais de santé (quelque 60%) au moment où les concernés dont l’âge est avancé et dont la santé est dégradée ne pourront ni attendre le remboursement ni payer les 40% requis.
● S’agissant du nombre des victimes bénéficiaires de l’insertion sociale (814 cas selon le CCDH) et du règlement de la situation administrative (502 cas) il reste bien en deçà des besoins, quand on connaît la situation déplorable de la plupart des victimes.
● Au niveau de la réparation collective et communautaire, la recommandation de l’IER de donner de l’importance à cette forme de réparation est positive ; mais on constatera que dans la pratique les moyens alloués à cette tâche sont extrêmement faibles par rapport aux besoins, et ce ne sont pas les 3 millions d’Euros affectés par l’Union Européenne, qui pourront permettre de faire face aux conséquences atroces des violations graves subies par les populations du RIF, du Moyen Atlas, de Figuig et Rachidia, de Fès, de Ouarzazate, Zagora, Casablanca, … En fait il faudra un montant de mille fois plus pour commencer à réparer les dégâts humains, économiques, sociaux, culturels et politiques de la répression dans ces régions.
● S’agissant de la préservation de la mémoire, un certain nombre de mesures positives ont été recommandées ; mais la volonté politique nécessaire au succès dans ce domaine n’existe pas encore, surtout quand on constate le contraire, puisque l’Etat se met plutôt à démanteler cette mémoire en détruisant ou en défigurant certains hauts lieux de la répression : Tazemamarte, prison Laalou et PF3à Rabat, etc….
● Pour ce qui est du pardon qui doit être demandé officiellement et publiquement aux victimes de la répression et à la société, on notera que l’IER a recommandé cette mesure, mais a explicité, sans fournir d’explication d’ailleurs, que c’est le Premier Ministre, qui devra formuler cette demande de pardon. Deux remarques s’imposent à ce sujet : premièrement, celui qui est constitutionnellement, politiquement et moralement habilité, pour cette tache n’est autre que le Roi lui-même, puisqu’il est le chef de l’Etat ; deuxièmement, même la demande de pardon de la part du 1er Ministre tarde à venir et des voix parmi les thuriféraires du pouvoir, pensent que même la demande d’excuses du 1er Ministre est dépassée et qu’il serait « outrecuidant » de demander plus que ce qui a été fait jusqu’ici.
- Des Recommandations importantes ont été faites par l’IER pour que les violations graves ne se répètent plus dans l’avenir.
Il s’agit essentiellement du renforcement de la protection constitutionnelle des droits humains (notamment par la stipulation au niveau de la constitution de la priorité des conventions internationales sur la législation interne),de la ratification d’un certain nombre de conventions (2ème protocole facultatif annexe, au pacte sur les droits civils et politiques concernant l’abrogation de la peine de mort, convention de Rome relative à l’adhésion à la cour pénale internationale), de la levée des réserves sur les conventions ratifiées (cas notamment de la CEDAW), du renforcement de l’arsenal juridique en faveur de libertés individuelles et collectives, de la pénalisation des violations graves des droits humains, de la mise en place d’une stratégie de lutte contre l’impunité, de la mise à niveau de la politique et de la législation pénales et de la justice marocaine notamment de son indépendance, de la bonne gouvernance dans le domaine sécuritaire, de la promotion des droits humains à travers l’éducation et la sensibilisation.
Toutes ces recommandations prises séparément et globalement son positives et leur application peut contribuer à la protection et à la promotion des droits humains ; c’est bien pour cela que l’AMDH et l’ensemble des mouvements des droits humains critiquent le retard mis pour leur application et sont décidés à continuer le combat pour leur mise en œuvre. Toutefois, nous pensons au niveau de l’AMDH que ces recommandations sont insuffisantes pour la mise en place des mécanismes d’édification de l’Etat de Droit, et d’une société de citoyen(ne)s, libres, égaux et solidaires, seul rempart contre les violations graves dans l’avenir. La constitution actuelle – non démocratique, à caractère autocratique et semi théocratique – ne peut être le cadre de l’édification de l’Etat de droit ; il est donc nécessaire de mettre en place une constitution réellement démocratique, reconnaissant la souveraineté populaire, la priorité des valeurs et normes des droits humains, l’égalité homme – femme, le gouvernement en tant que détenteur de l’ensemble du pouvoir exécutif, le parlement en tant que pouvoir législatif unique, la justice comme pouvoir, la séparation des trois pouvoirs classiques législatif, exécutif et judiciaire et la séparation de la Religion et de l’Etat.
De ceci, il n’ ya nulle de trace dans les recommandations de l’IER qui donc resteront sans effet majeur sur l’édification de l’Etat de Droit.



D) En Conclusion
Le processus du règlement du dossier des violations graves par l’Etat dans ses différentes étapes, y compris celle de l’IER, n’a pu permettre de clore ce dossier qui reste ouvert, pas seulement pour nous AMDH, mais pour l’ensemble des victimes et des mouvements des droits humains et même pour l’Etat lui-même qui n’a pu déclarer sa clôture et a chargé le CCDH de continuer à le prendre en charge.
Le dossier reste ouvert également à cause des violations graves récentes : victimes de la lutte anti-terroriste, victimes de la répression des libertés d’expression, de presse, de rassemblement, de manifestation et syndicales, défenseurs des droits humains victimes d’une justice aux ordres du pouvoir, victimes de la répression de la migration irrégulière,…
Pour l’AMDH l’action pour le règlement du dossier des violations graves continue dans trois directions et en menant trois combats parallèles pour la mise en œuvre :
● De notre programme de règlement démocratique du dossier basé sur les 5 points cardinaux cités plus haut.
● Des recommandations du colloque national sur les violations graves de novembre 2001 qui constituent le patrimoine commun du mouvement marocain de défense des droits humains ; pour cela il faudra et sans plus tarder redynamiser l’Instance de Suivi des recommandations, œuvrer à son élargissement à d’autres organisations des droits humains.
● Des recommandations de l’IER ; là encore l’Instance de Suivi (élargie) pourra jouer un rôle décisif.




Abdelhamid AMINE

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